jeudi, avril 19, 2007

L'Europe peine à publier une liste noire crédible des compagnies aériennes dangereuses

Publié le 04 avril 2007

L'analyse de Thierry Vigoureux, journaliste au Figaro, spécialiste de l'aéronautique et du transport aérien

En sécurité aérienne, l'Europe reste très prudente. La récente mise à jour de la liste noire des compagnies interdites fait preuve d'une réserve qui contraste fortement avec l'actualité quotidienne des incidents graves et des accidents. La Commission européenne rejoint ici la position de l'Organisation de l'aviation civile internationale, émanation de l'ONU qui renâcle à désigner des États ou des transporteurs défaillants. Ceux-ci, il est vrai, sont très influents au sein de l'institution onusienne qui n'a rien d'un gendarme du ciel.

L'interdiction majeure apparue dans cette troisième édition de la liste noire de Bruxelles touche Pakistan International Airlines (PIA). Avec toutefois une exception pour ses Boeing 777 récents qui volent essentiellement vers les États-Unis. Avant de faire escale sur le territoire américain, il faut, en effet, montrer patte blanche et subir un audit d'exploitation très strict. Les pays européens, diplomatiquement corrects, se contentent du certificat de transporteur aérien délivré par l'administration locale. Aussi, PIA mettait-elle en ligne vers l'Europe des Boeing 747 et des Airbus A 310 hors d'âge et surtout à l'entretien très limité.

L'autre nouvelle mise à l'index de la Commission, celle d'Air West from Sudan, est anecdotique ; elle n'apparaît sur aucun horaire. C'est souvent le cas. La liste noire européenne, telle qu'elle est conçue, ne correspond guère aux préoccupations des passagers aériens. Les interdictions d'une centaine de compagnies du Kazakhstan, du Kirghizistan, de République démocratique du Congo, de Sierra Leone, du Swaziland et de Guinée équatoriale frisent l'acharnement thérapeutique. La majorité d'entre elles n'a ni les moyens ni l'intention de desservir l'Europe et certaines ont d'ailleurs disparu... si elles ont réellement existé un jour. Le légitime souci de la Commission d'informer les éventuels hommes d'affaires et les rares touristes susceptibles de se déplacer dans ces pays semble trop centré sur l'Afrique. L'impasse est faite sur les transporteurs d'autres régions. L'Indonésie, par exemple, ou l'Amérique latine alimentent régulièrement les rubriques de faits divers avec les crashes de Garuda, d'Adam Air ou de West Caribbean. On n'ose croire que cette frilosité de la Commission soit liée à des commandes par les compagnies locales passées chez les industriels européens.

La condamnation de l'Union européenne peut être amnistiée. Deux compagnies « noircies » en juin dernier viennent d'être réhabilitées : Phuket Air (Thaïlande) et DAS Air Cargo/Dairo Air Services (Ouganda/Kenya) ont corrigé leurs carences en matière de sécurité. Cette liste noire européenne, malgré ses insuffisances, a des effets positifs puisque certains pays anticipent pour éviter de se retrouver au tableau noir. À la suite de consultations avec la Commission, la Russie a décidé en février d'interdire à neuf transporteurs nationaux (Aero Rent, Tatarstan, Atlant Soyuz, Aviakon Zitotrans, Centre Avia, Gazpromavia, Lukoil, Russian Sky (Russkoe Nebo) et Utair) d'effectuer des vols dans la Communauté. Notons qu'Aeroflot, partenaire d'Air France dans l'alliance SkyTeam, s'est mise à niveau et a reçu le label de sécurité haut de gamme IOSA attribué par l'Association internationale des transporteurs aériens (IATA). Une sévère restriction toutefois : les aéronefs construits par l'ex-URSS en sont exclus.

La Grande Europe est également concernée. Ainsi, la Bulgarie a-t-elle interdit à cinq de ses transporteurs (Air Sofia, Bright Aviation Services, Heli Air Services, Skorpion Air et Vega Airlines) d'exercer leurs activités dans les autres États membres de l'Union européenne ainsi qu'en Islande, Norvège et Suisse. Il ne peut s'agir que d'une décision à caractère provisoire en attendant d'adopter les mêmes critères de maintenance et de qualification des équipages que les autres compagnies européennes. L'aviation civile bulgare est maintenant censée appliquer les mêmes contrôles techniques de sécurité (JAR 145) que ses homologues allemande, britannique ou française.

Aujourd'hui, le label IOSA créé par l'IATA est devenu la référence incontestée. Son attribution précédée d'un audit détaillé est totalement indépendante des administrations des États qui n'affichent pas toutes des moeurs très pures.

Ainsi, la compagnie turque Onurair, qui avait connu de graves problèmes il y a deux ans, ne s'est pas tournée vers l'autorité locale d'Ankara, mais s'est mise au standard IOSA pour rendre publique sa recherche de qualité.

Personne ne l'avoue franchement, mais la norme JAR 145, étendue à toute l'Europe, bat de l'aile : l'aviation civile de Chypre, par exemple, ne l'a pas retirée à Helios Airways qui, outre un crash avec 121 morts en août 2005, affiche régulièrement des problèmes de maintenance.

Depuis, la compagnie a changé d'indicatif et s'est renommée Ajet... C'est une pratique fréquente : Star Air « certifiée » au Sierra Leone et déjà interdite dans l'Union européenne, devient Star Jet aux couleurs du Kirghizistan. Ces deux pays, ainsi que le Liberia, s'en sont fait une spécialité. Le pavillon de complaisance permet, comme en transport maritime, d'attribuer des licences aux compagnies aériennes moyennant rémunération, sans contrôle technique.

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