lundi, juillet 17, 2006

EN MARGE DU PROCES DU CRASH DE SAINT BARTH

Karine Paris, présidente de l’Association des familles de victimes

«Le ministère public a compris nos attentes»

Contrairement au procès du crash du Mont Saint Odile où les familles ont manifesté leur «déception» quant aux réquisitions du ministère public qualifiées d’insuffisantes, les parties civiles des ayant droits des passagers du crash de Saint-Barth ont exprimé leur reconnaissance au procureur de la République Patrick Quincy à l’issue du procès. Pour Karine Paris, présidente de l’Adfv, «le ministère public a compris nos attentes de justice et de reconnaissance des faits». S’agissant des sanctions demandées, à l’égard de Richard Degryse, Karine Paris a estimé que le procureur avait demandé une peine adoucie par un sursis total et une interdiction d’exercer qui lui semble «naturelle face à une personne qui de toutes façons ne connaît pas la réglementation aérienne. Car il aura beau dire : engager du personnel intérimaire qualifié de «sac de sable», c’est une atteinte à la sécurité" . S’agissant de la compagnie aérienne et de l’amende de 100 000 euros demandée, la présidente de l’Adfv qui déplore le manque d’intérêt de la presse nationale pour les débats, veut voir dans la publication du jugement dans deux périodiques nationaux la plus importante des sanctions : «cela permettra au grand public de prendre connaissance de ce qui s’est passé et de la façon dont Air Caraïbes traite ses passagers».

Claude Lienhard, avocat de l’Adfv et de la Fenvac
«Très satisfait des conditions du procès»

Spécialiste des accidents et catastrophes, Claude Lienhard qui représentait l’association des familles de victimes et la Fenvac sait à quel point l’accueil et la prise en charge des familles est importante à l’aune des procès. Il s’en était d’ailleurs inquiété s’agissant de celui de Saint-Barth et l’avait fait savoir au ministère de la justice en mars dernier. «Force a été de constater que les conditions matérielles dans lesquelles s’est déroulé le procès ont été très satisfaisantes. Les familles ont été bien accueillies et malgré un agenda qui nous semblait à première vue court, l’audience s’est déroulée normalement dans un confort parfait. Les débats ont été contradictoires et chacun a pu s’exprimer. C’est un point important. Rien n’a été évité. Aujourd’hui la juridiction a tous les éléments pour rendre sa décision ». Sur la peine requise par le ministère public, maître Lienhard estime que « tous les éléments sont réunis pour entrer en voie de condamnation. Dans une situation juridique bien cadrée par la loi Fauchon du 10 juillet 2000 relative à la responsabilité pénale en cas de délits non intentionnel, le juge a une marge d’appréciation pour reconnaître la personne physique et la personne morale pénalement fautive».

Guiraute Pierrette , rédacteur en chef du Journal de St. Barth

PROCES DU CRASH DE SAINT BARTHELEMY "PLUS JAMAIS CA, PLUS JAMAIS CA..."»

Ils n’étaient pas venus crier vengeance. Ils étaient là pour qu’on leur dise pourquoi leurs parents, grands parents, frères ou sœurs, pire encore, leurs enfants ne sont pas arrivés.

Pourquoi le Twin Otter dans lequel leurs proches avaient pris place ce samedi 24 mars 2001 pour effectuer la courte rotation Juliana – Saint-Barth s’est écrasé à l’arrière de la maison de Mireille et Augustin Questel à Public, provoquant la mort de ce dernier ainsi que celle des dix-sept passagers et de l’équipage, le pilote Jean-Paul Jerpan et le copilote Nicolas Manen.

Ils ont traversé l’Atlantique pour dire aussi que ce procès devait servir d’exemple, que ce qui est arrivé ne devait pas se reproduire. «Plus jamais ça, plus jamais ça !», entendait-on à la barre, comme dans les couloirs du palais de justice de Basse-Terre où s’est tenu sur deux jours -jeudi 29 et vendredi 30 juin- le procès en correctionnelle du crash du vol TX 1501 d’Air Caraïbes, au terme de cinq ans d’instruction.

Une instruction qui renvoyait à la barre deux prévenus : Richard Degryse, directeur général de la S.A Air Caraïbes par ailleurs responsable des opérations aériennes à l’époque des faits, et la compagnie aérienne Air Caraïbes, représentée à l’audience par Jean-Paul Dubreuil, président du conseil d’administration de la compagnie.

Tous deux étaient prévenus «d’homicides involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence prévue par la loi ou le règlement ou par la commission d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer».

Une audience exceptionnelle
800 pages au dossier dont 200 d’expertise, près de 70 parties civiles (dont une trentaine avait fait le déplacement) représentées par dix avocats, deux prévenus conseillés par deux autres défenseurs, un expert, des journalistes du cru, quelques rares spectateurs, le procureur de la République Patrick Quincy et un tribunal constitué par la présidente Thelliez et ses deux assesseurs composaient les ingrédients d’une audience correctionnelle exceptionnelle, hors norme : la première à juger des responsabilités pénales dans un accident aérien de transport public survenu dans le département de la Guadeloupe.

La première à se dérouler sur deux jours, quand bien même la Fenvac, la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs, avait préconisé une semaine de procès :«pour un bon cadrage des débats, pour que tout soit dit. Pour que les familles puissent s’exprimer comme il est devenu de coutume aujourd’hui» estimait Jean-Jacques Mengelle-Touya, délégué général de la Fenvac.

Orphelin de son fils
Depuis peu, depuis que les familles de victimes d’accidents collectifs se sont regroupées en associations et que celles-ci peuvent se constituer parties civiles au procès (soit depuis 1995 pour des accidents collectifs survenus dans des lieux publics, 2002 pour ceux survenus dans des lieux privés), les tribunaux entendent à la barre les témoignages de ceux qui restent. Ces autres victimes, marquées à vie par la perte violente, brutale, d’êtres proches. C’est par ces témoignages poignants qu’a donc commencé jeudi matin le procès du crash de Saint-Barth.

Premier à la barre, Jean-Jacques Mengelle-Touya, délégué général de la Fenvac à laquelle l’Association des familles de victimes, l’ADFV qui regroupe 13 des 17 familles touchées par l’accident, a bien voulu adhérer. Il espère que «si une action de prévention, si un consensus pouvait se faire avec la compagnie aérienne, les familles pourront se dire que les personnes décédées ne seront pas mortes pour rien».

Karine Paris a perdu sa mère, Gisèle Deslus dans l’accident du 24 mars 2001. Elle était venue fêter ses 50 ans avec son ami Louis Gilbert Joseph Jeanjean, décédé lui aussi. La présidente de l’association des familles de victimes «créée dans l’amour des victimes» qui se bat depuis cette date pour que la lumière soit faite, pour que la vérité soit dite, attend de la justice qu’«elle identifie les responsables, pour que ce procès serve d’exemple, pour que ce qui est arrivé ne se reproduise plus.
Cela fait cinq ans que nous sommes soumis au silence insupportable de leur absence, cinq ans que nous attendons que les faits soient déterminés avec certitude et reconnus». La sœur aînée de Gisèle, venue spécialement du Canada, est là également.
Elle se veut le porte-parole d’une famille qui quelque temps après l’accident a vu partir la mère de Gisèle, «décimée par le chagrin». D’une voix à peine audible, assaillie par l’émotion, elle raconte l’histoire de sa famille, de cet après-guerre si difficile après l’internement de son père en camp de concentration, qu’elle avait dû servir de «petite mère à Gisèle», sa cadette.

Il y a aussi les époux Héron, les parents de Patrick, ébranlés. C’est Jacques qui prend la parole. Georgette, son épouse et mère, se tient à ses côtés. Après la tristesse et la colère, il trouve aujourd’hui, devant la barre du tribunal, la force d’exprimer son amour à Patrick, son gamin difficile qui, avec l’âge- il avait 40 ans au moment du crash-, s’était assagi.

Charles, le père de Lionel Cayer-Barrioz, avocat du barreau de Paris décédé à l’âge de 39 ans, parle distinctement. Il est là pour ses petits-enfants dont un n’a connu son père que neuf mois. «Le temps d’une gestation». C’est lui qui lance au tribunal «plus jamais ça, plus jamais ça !».

Martine Trousse, la sœur de Jean-Michel et la belle-sœur de Françoise pleure à revoir la photo des deux tourtereaux qu’elle remet au tribunal. «Au moment de l’accident, leurs enfants avaient 15 et 17 ans, mes parents 75 et 76, mon fils 5. C’est un drame pour ceux qui restent. Pour des parents, quoi de plus dur que de perdre un enfant».

Catherine est la fille d’Arlette et Jean-Claude Richard Mathieu. Leur mort, elle l’a apprise à «4 heures du matin, le 25 mars. A l’autre bout du fil, un homme qui dit être le directeur d’Air Caraïbes, (Ndlr : Philippe Chevalier). Il m’annonce que mes parents son morts dans un crash d’avion et me demande si je veux me rendre sur les lieux. Je lui demande si c’est une blague.
Il me dit «non, c’est vrai». Ce message retentira toujours dans ma tête. Aujourd’hui à partir d’une certaine heure, les coups de téléphone me font peur». Pour ajouter au choc, c’est à elle, chirurgien-dentiste qu’on demandera le schéma dentaire d’Arlette et Jean-Claude, ses parents… pour identifier leurs corps : «on m’a arraché leur vie.
On m’a volé leur mort. Je n’ai pas pu fermer le cercueil. Il n’y en avait pas».

Michelle, la mère d’Anne Buscato, sa fille chérie qui allait avoir 30 ans et tout pour devenir une brillante avocate, a trop de peine pour parler, mais tient à le dire à la barre du tribunal. Son autre fille Julie, elle trouve les mots : «Anne, ma sœur, et Jean-Baptiste formaient un couple depuis 13 ans. Je suis venue les représenter. Je suis venue les nommer une dernière fois en public. Je suis venue dire qu’en 2036, quand ce procès sera loin de vos pensées, ils auraient dû fêter leur 60 ans. Ces années leur appartenaient. Moi dans 30 ans, j’y penserais encore».
Didier Suarez, le père de Jean-Baptiste, 29 ans, qui venait voir sa sœur à Saint-Barth, est très ému. Depuis le crash, il est «devenu orphelin de mon fils». Il a appris la haine. «Tous ici sommes des familles déséquilibrées, car notre nombre n’est pas juste dans toutes les circonstances de la vie».
Cette injustice, il veut la rendre palpable et montre aux deux prévenus le tirage noir et blanc qu’il a fait faire spécialement. Dessus, son fils Jean-Baptiste en compagnie de celle qu’il aurait tant aimé voir devenir sa belle fille. «Pour qu’ils mettent des visages sur la liste».

Vient ensuite à la barre un des fils d’Augustin Questel, Christophe, principal des collèges de Terre-de-Haut et de Terre-de-Bas aux Saintes. Il avait quitté le domicile de ses parents une heure avant le crash et retournait aux Saintes. C’est à son arrivée sur cette autre île de Guadeloupe que sa femme lui a appris que l’avion était tombé derrière la maison et que son père avait péri, consumé par les flammes.

Vient enfin le témoignage de Laurent Etzol, le cousin du pilote Jean-Paul Jerpan, élevé par son propre père et qu’il a toujours considéré comme son frère. Depuis ce jour de décembre 2002, quand le juge Alain Berthomieu chargé de l’instruction a évoqué pour la première fois l’origine humaine de l’accident liée au passage par le pilote –son frère- du mode inverseur bêta en vol, une manœuvre formellement interdite en vol, Laurent, lui-même pilote chez Air Antilles Express, se refuse à y croire : «Jean-Paul a grandi chez moi.

Il a été placé derrière un manche d’avion dès l’âge de 14 ans. C’est un des pilotes les plus expérimentés pour atterrir à Saint-Barth. Il totalisait plus de 9000 heures de vol, 6400 en tant que commandant de bord et plus de 3000 sur Twin Otter. C’est sur cet avion qu’il a grandi. Rien ne dit qu’il ait exécuté cette manœuvre. Il ne s’agit que de suppositions, que d’hypothèses».
Que s’est-il passé ?
L’audience reprenait en début d’après-midi jeudi avec l’énoncé des faits par la présidente du tribunal, suivi de l’audition du directeur d’enquête, Hugo Antonio, commandant la Brigade de gendarmerie des transports aériens de Guadeloupe et de l’expert judiciaire, Jean Belotti.

Dans son rapport, celui-ci concluait à une erreur humaine comme cause directe de l’accident, en liaison avec des facteurs indirects dont la responsabilité incombe au responsable des opérations de la compagnie au moment du crash, Richard Degryse.
Le 24 mars 2001, le vol TX 1501 accuse une heure de retard et décollait finalement de Juliana vers 16 heures. 15 petites minutes et 19 milles le séparent de l’aéroport de Saint-Barth.
A 16h15, alors qu’il était à la verticale du col de la Tourmente, en phase d’approche pour son atterrissage, le Twin Otter effectuait un virage très incliné sur sa gauche, puis chutait en piqué vers le sol.
L’appareil s’écrasait sur le versant ouest, dans le jardin de la maison de Mireille et Augustin Questel à Public.
Il s’embrasait immédiatement, provoquant l’incendie de la maison dans laquelle se trouvait Augustin, allongé dans son hamac. Tous sont morts, à l’exception de Mireille qui se trouvait à l’extérieur.
86 témoignages ont été recueillis dont 29 de témoins oculaires parmi lesquels plusieurs pilotes. A défaut d’enregistreur de vol à bord du Twin Otter qui n’était pas dans l’obligation d’en posséder, et en raison de la panne depuis 18 mois du système d’enregistrement des conversations entre la vigie de l’aéroport de Saint-Barth et les avions, les enquêteurs ni l’expert n’ont pu déterminer avec une certitude absolue les causes de l’accident.

Mais procédant par élimination des hypothèses, le rapport de l’expert judiciaire concluait sans équivoque que la cause du crash procédait bien d’un passage volontaire du pilote en plage inverseur bêta en vol.
Cette manœuvre interdite en vol avait provoqué une importante dissymétrie, l’hélice gauche freinant beaucoup plus que la droite, ce qui avait comme résultat d’incliner l’avion sur la gauche. Toujours selon le rapport de l’expert judiciaire, le commandant de bord a remis fortement les gaz.
L’hélice droite, moins engagée en «mode inverseur bêta», était alors repassée en mode traction avant celle de gauche, provoquant une brutale inclinaison de l’appareil qui partait en piqué par la gauche. Ces conclusions émanent de l’analyse des restes de l’appareil, de deux vols de reconstitution ainsi que de témoignages des techniciens de la compagnie et de pilotes qualifiés sur Twin Otter qui, tous, évoquent le passage de l’appareil en plage inverseur bêta en vol.

Et plus particulièrement d’un mécanicien de la compagnie Air Caraïbes, Fred Malliapin, qui avait voyagé le matin de l’accident à bord du Twin Otter. Ayant trouvé l’atterrissage à Saint-Barth assez dur, il en avait fait la remarque au commandant Jerpan qui lui avait répondu qu’il n’avait pas trouvé le feeling qu’il avait auparavant et qu’il allait essayer le mode «bêta» qu’il avait utilisé par le passé pour se ralentir en approche. Un témoignage accablant.

Un pilote qui n’aurait pas dû piloter, un équipage qui n’aurait pas dû être formé;

Outre cette faute imputable au commandant de bord, l’expert judiciaire soulevait l’existence de causes contributives indirectes, mais graves dont la responsabilité, selon l’expert, revient au directeur des opérations chargé au sein d’Air Caraïbes de l’instruction et des qualifications des pilotes et de la sécurité des vols, Richard Degryse. Il aurait ainsi affecté Jean-Paul Jerpan sur Twin Otter, alors même que celui-ci ne remplissait plus les conditions réglementaires à l’exercice de la fonction de commandant de bord. Jean Paul Jerpan qui n’avait pas piloté de Twin Otter depuis 124 jours avant sa reprise le 22 mars, soit deux jours avant l’accident, aurait en effet dû, pour y être légalement habilité, effectué des vols de requalification obligatoires prévus à l’article 970 de l’OPS 1 qui réglemente le transport aérien commercial.

En l’espèce trois atterrissages et trois décollages quand la carence de pilotage d’un appareil se situe entre 90 et 120 jours, un vol d’entraînement quand le délai est supérieur. Or Jean-Paul Jerpan a lâché les commandes d’un Dornier le 21 mars au soir pour reprendre le manche du Twin Otter le 22 au matin, sans autre forme de requalification, sans autre forme de vérification.

Sur ce point et selon l’expert et les avocats des parties civiles, ces vols auraient dû être réalisés sous la supervision d’un instructeur. Selon les défenseurs de Richard Degryse et le témoin entendu à l’audience, l’ancien expert judiciaire, Raymond Auffray, le pilote pouvait les faire seul. Une forme d’auto contrôle surprenant, mais pour la défense, de nature à disculper les prévenus si le tribunal dont le jugement a été placé en délibéré au 15 septembre, voulait bien en retenir la version.
C’est que si Richard Degryse n’a pas supervisé les vols, il avait bien demandé à Jean Paul Jerpan de faire ces trois atterrissages-décollages avant de reprendre les commandes du Twin Otter. Pour la défense, le commandant de bord a désobéi.
Pour les avocats des familles de passagers, l’argument est nul, pointant du doigt que la partie du texte visé est de toute façon autre. Pour eux, JeanPaul Jerpan aurait dû effecteur un vol d’entraînement. Et d’indiquer que dans tous les cas, Richard Degryse n’a non seulement pas vérifié que Jean-Paul Jerpan avait bien effectué son adaptation en ligne, mais qu’il n’avait pas une connaissance exacte du temps depuis lequel son commandant de bord n’avait pas piloté de Twin Otter.

La deuxième faute reprochée à Richard Degryse est d’avoir formé un équipage composé d’un commandant de bord et d’un copilote dont la somme des expériences ainsi que la mauvaise entente ne garantissaient pas suffisamment la sécurité des vols. «Un équipage de circonstances», pour le directeur d’enquête, Hugo Antonio, modifié en dernière minute à la demande de Jean-Paul Jerpan pour lui permettre de participer à une rencontre de foot à Saint-Martin avec l’équipe d’Air Caraïbes dont il était le gardien de but. L’équipage initialement prévu pour assurer les rotations du 22 au 24 mars étant constitué de messieurs Liard et Manen.

«Je pense à cela tous les jours depuis cinq ans»
C’est un homme ébranlé qui écoute depuis une journée déjà les débats qui se présente vendredi matin à la barre du tribunal. Même dos à la salle, l’émotion de Richard Degryse, prévenu d’homicides involontaires et qui risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, est palpable par tous.
On lui demande ses fonctions. Il présente sa compassion et celle de son équipe à l’égard de la douleur des familles des passagers et de l’équipage.
«C’est difficile de trouver les mots».Pour autant, il ne reconnaîtra pas les fautes qui lui sont imputées. S’agissant de l’adaptation en ligne de Jean-Paul Jerpan, il indique avoir rappelé à son pilote qu’il devait effectuer ses trois atterrissages-décollages «persuadé que celui-ci était dans la limite des 90 jours».
Il estime qu’il n’avait pas à superviser ces vols : «c’est autorisé. En outre, en fonction de son expérience, ça ne posait aucun problème. Si on avait fait les trois tours ensemble, il les aurait peut-être fait mieux que moi».

A la présidente qui note qu’en raison des 124 jours de carence, il fallait de toute façon faire un vol d’entraînement, il répond que celui-ci aurait pu se faire tout seul.

Sur la mauvaise composition de l’équipage et notamment sur le fait que Jean-Paul Jerpan l’avait appelé pour se plaindre le matin même du crash de son copilote, il indique que «Jean Paul était très expansif. Il me dit «ton copilote n’est pas bon», sans me donner de faits très précis. Si à chaque coup de fil, on devait arrêter les vols, on ne s’en sortirait plus ! Les pilotes ont traditionnellement des personnalités très fortes. C’est une population difficile à gérer».

Quant à Nicolas Manen, même dépourvu de qualification de site (qui n’est pas nécessaire pour le copilote), il était selon Richard Degryse, «capable d’amener et de poser l’avion à Grand Case si le commandant de bord avait eu un problème». «Selon vous, le passage volontaire de la plage inverseur bêta en vol est-elle la cause de l’accident ?» demande alors la présidente.

La voix de Richard Degryse se fait plus basse : «je pense à cela tous les jours depuis cinq ans». Il pleure. «On a tout invoqué. On est presque devenus fous. Parfois on a du mal à faire la part des choses. Je me suis remis à l’avis des experts. C’est possible.
A moins qu’il ne se soit agi d’une remise de gaz asymétrique. Ca peut arriver. C’est arrivé !».

Pour la compagnie, Richard Degryse était responsable
C’est sur l’insistance des familles de victimes et grâce à l’arrêt de la chambre de l’instruction de Basse-Terre rendu le 24 novembre 2004 que la compagnie aérienne avait été mise en examen pour homicides involontaires le 31 mai 2005, plus de quatre ans après les faits. J

Jean Paul Dubreuil, président du conseil d’administration de la SA Air Caraïbes au moment du crash, qui comparait à la suite de Richard Degryse comparait donc au titre de représentant de la personne morale. Son avocat, maître Le Pen dira qu’il a fait l’effort de venir. On apprendra que par un hasard de circonstances, la veille du procès, il présidait la réception de présentation du nouvel avion desservant la ligne transatlantique d’Air Caraïbes. De même, comment ne pas douter de sa compassion, lorsque présentant sa commisération, il lâche «aux familles de victimes du crash du 24 juin 2001» quand le 24 mars 2001, date réelle du crash, est gravé à jamais dans le cœur de ceux qui restent.

Sa ligne de défense est claire : les fautes ou les manquements à la sécurité susceptibles d’être reprochés à Richard Degryse s’inscrivent dans le cadre spécifique de ses fonctions de responsable des opérations et non dans celui de ses fonctions de directeur de la compagnie.

Dès lors, la responsabilité de la SA Air Caraïbes ne peut être engagée. Place aux plaidoiriesVendredi, deuxième jour du procès : Tour à tour, les avocats représentant les parties civiles vont se succéder à la barre du tribunal pour dire pourquoi il est juste que les prévenus soient reconnus coupables et condamnés.

Du côté des familles de passagers, les avocats ont élaboré une stratégie d’ensemble qui confie à chacun des défenseurs une partie de la plaidoirie.
Maître Claude Lienhard, représentant la Fenvac et l’ADFV s’exprime le premier. Avocat au barreau de Strasbourg, directeur du Cerdacc (Centre européen de recherche et de droit des accidents collectifs et des catastrophes), défenseur de la Fenvac lors du procès du Mont Saint-Odile, il connaît bien la problématique de l’accident collectif.
Il s‘attachera à rappeler pourquoi la répression pénale des violences involontaires en cas d’accident collectif est fondamentale : «parce qu’il s’agit, au titre d’un ordre public technologique de protection, d’imposer sans faille, sans concession, aux grands acteurs du risque que sont les compagnies aériennes et leur personnel, le respecte de la sécurité comme une injonction absolue non négociable, ni en terme d’organisation, ni en terme économique.

En matière aérienne, plus qu’ailleurs, l’imprudence ne pardonne pas, elle est fatale».
Et d’incriminer ceux qui sont en situation d’agir : «une compagnie aérienne doit se doter en interne d’un dispositif évitant des imprudences. Elle doit se structurer. Elle doit penser la sécurité, imposer la sécurité. Il faut connaître, savoir, identifier, percevoir, comprendre tout ce qui peut de quelque manière que ce soit mettre en danger la sécurité dès lors que l’on a la charge d’âmes. Nous nous trouvons face à des professionnels qui n’ont pas agi alors qu’ils auraient dû, qui ont mal agi, alors qu’ils savaient et qu’ils auraient pu agir autrement. Les responsabilités sont évidentes».

Pour maître Frédéric Bibal, représentant Karine Paris, sa famille et la famille Richard-Mathieu «ce qui est sûr, c’est qu’au terme des débats, le retour en ligne de Jean-Paul Jerpan, n’a pas été réalisé. Ce qui est acquis, c’est que le vol d’entraînement n’a pas été fait et que cette mesure n’a pas été vérifiée. On a laissé au pilote le soin de faire, de vérifier.

Finalement, ce qui étonne dans ce dossier, c’est le rapport des professionnels à la norme : quand on leur demande s’ils ont connaissance de la réglementation, ils opposent systématiquement un curriculum vitae. Dans ce milieu, la compétence peut donc être au-dessus de la loi. Et bien non. Les parties civiles vous demandent de rappeler qu’aucun corps professionnel et en particulier ceux du transport public ne peut, au motif d’un nombre d’heures de vol ou d’une qualification, ignorer la norme.

Dites nous que ceux qui nous transportent ne sont pas au-dessus de la loi».
Maître Diego Spinella, représentant la famille de Lionel Cayer-Barrioz qui stigmatise la responsabilité morale de la compagnie au-delà de celle de Richard Degryse dénonce «l’état d’incurie générale de la compagnie qui ressort de l’instruction».

Une compagnie approximative qui ne procède pas aux vérifications et qui le confirme avec aplomb au tribunal. «Cela est d’autant plus inquiétant que cette compagnie s’est beaucoup développée depuis les faits».
Citant Nietzsche sur la suggestion de son client Didier Suarez, le père de Jean-Baptiste, maître Pascal Gorrias estime «qu’il doit y avoir chez Richard Degryse ce double appel intérieur : "Je ne l'ai pas fait", dit l'honneur, "je l'ai fait", dit la mémoire.
Et c'est la mémoire qui s'efface". Ce serait bien que la mémoire revienne.
Peut-être dirait-il alors qu’il a commis une faute.
Mais non, les prévenus ont choisi de plaider sur le thème «tout était normal».

Maitre Le Maux, représentant les familles Ramette, Trousse, Gramaglia et Jeanjean remonte à la barre le chemin de ce qui n’a pas fonctionné, de ce qui a contribué à l’accident, de ce qui a empêché que sa cause soit clairement établie : un avion pour lui dangereux: «31 ans. Un vieux coucou qui était en vente, mais dont personne n’a voulu. Un aéroport très mal équipé, sans enregistreur de conversation depuis 18 mois. Un copilote dangereux, sans formation. «Un sac de sable», qui a pris place à bord de l’appareil parce qu’on avait besoin de quelqu’un.

Un pilote qui a cessé d’être expérimenté, qui dit qu’il n’est pas à l’aise, qu’il ne trouve pas ses marques, qui demande même une formation, qui savait son copilote mauvais, dangereux. Qui savait tout.
Et pourtant, il a pris a décision de prendre le manche. Au vu de cela et des réactions des responsables de la compagnie, la véritable question c’est non pas de savoir comment cela a pu arriver, mais quand cela devait-il arriver ?».

Pour maître Michel Lauret, représentant la famille de Monique Levêque, «l’avion reste le moyen de transport le plus sûr. Les règles, quand elles sont respectées, en garantissent la sécurité». Pour lui la véritable cause de l’accident est simple : «on a sacrifié les règles de la sécurité sur l’autel de la rentabilité économique». «Il y aura toujours des «ça»»Les familles de l’équipage sont elles aussi parties civiles.

Représentant la femme et la fille du copilote, maître Jean Braghini qui défendait récemment le quotidien suisse Le Matin contre Nicolas Sarkozy, ironise : «On vous l’a dit, Nicolas Manen était nul, mauvais, à la limite de la qualification. Mais s’il n’était pas assez bon, pourquoi l’a t-on laissé monter à bord ?

Comment a-t’il fait pour trouver une compagnie qui qualifie à la va-vite ? Quand je contemple le prévenu, et que je pense au vœu des parties civiles «plus jamais ça», je n’y vois qu’un vœu pieu. Tant qu’il y aura des exploitants aériens comme Richard Degryse, il y aura toujours des ça !». Maître Braghini argumente : «le Twin Otter, c’est par définition l’avion des baroudeurs. Rustique. un avion qui atterrit n’importe où.

Et bien hélas, chez Air Caraïbes, on cultive cet esprit baroudeur. Dans ce cas précis, on a préfèré un baroudeur pour piloter l’avion, quelqu’un qui n’a plus son permis, mais en qui on a confiance. Et bien non : l’aviation n’est pas un métier de baroudeur, mais de procédurier.

Tout doit y être écrit». Sur le plan du droit, hormis les fautes relevées par l’instruction, Jean Braghini en relève une autre, accablante pour l’avocat et de nature à établir le manquement délibéré à une règle de sécurité : «Après différents accidents impliquant le passage volontaire de la plage inverseur bêta en vol, le constructeur du Twin Otter, Bombardier De-Havilland a pris soin d’établir en 1979 une note supplémentaire annexée au manuel d’exploitation, appelée «Safety of flight supplement».

Cette note doit être signée par les pilotes et figurer dans le manuel d’exploitation à bord de l’appareil. Qu’en était-il chez Air Caraïbes ? Personne ne l’a jamais signé, puisque le directeur des opérations et à ce titre charge de la sécurité en ignorait même l’existence !».
Maître Roth défendant une partie de la famille Questel dénonce quant à lui l’état d’incurie et de laxisme de la compagnie. L’avocat de Christophe Questel qui plaide après maître Roth, dénonce l’injustice des événements. «Une heure avant le crash, Christophe disait au revoir à son père. Quand il arrive chez lui, sa femme lui annonce qu’il est mort. Il veut savoir pourquoi». Considérant le préjudice subi par son client, il demande 15 250 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel subi, une partie de ses livres et de ses effets personnels étant stockés chez son père, 85 000 euros lui permettant de couvrir ses frais de séjour à Saint-Barth où il ne peut désormais plus loger qu’à l’hôtel et 10 000 euros au titre des frais de justice.

Jean-Paul Jerpan n’a pas passé le bêtaMaîtres Démocrite, représentant la famille Etzol, la famille adoptive de Jean-Paul Jerpan et maître Ezelin, représentant une partie de la famille Jerpan et le Syndicat national des pilotes, n’auront eux de cesse de démontrer au tribunal que la cause de l’accident retenue par l’expert n’est pas entendue. Pas certaine : «l’instruction n’a pas été jusqu’au bout de la vérité», estime maître Daniel Démocrite.

«Elle a été entamée et développée sur un jugement, une appréciation qui excluait toute autre hypothèse : pour tous, il ne pouvait s’agit que d’une erreur humaine. Je rappelle qu’il a tout de même fallu attendre plus de deux ans après le crash pour que l’on commence à considérer que la compagnie et son directeur avaient des responsabilités».
Pour maître Démocrite, «le passage volontaire n’est pas concevable. Avant le col, cette approche finale relève du domaine de l’absurde, d’un comportement suicidaire ; pourquoi Jean-Paul Jerpan aurait-il fait volontairement cette manœuvre ? Il existe des cas de passage intempestif de ce mode bêta en vol. L’accident peut également être le fait d’une remise de gaz asymétrique. La vérité, c’est qu’on ne sait pas».

Et de s’étonner par ailleurs de l’absence de l’aviation civile dans les débats, voire dans la liste des prévenus : «après tout, c’est elle qui chaque année a en charge de vérifier le nombre d’heures de vol, la validité des licences, si la tour de Saint-Barth fonctionne normalement, réglementairement. Là dessus, l’instruction n’a rien dit».
Sur le sujet du passage intempestif, maître Ezelin qui prend la suite de la plaidoirie rapporte que le «manex» du Twin Otter, le manuel d’exploitation de l’avion, décrit trois cas de passages intempestifs.
«Dans ce cas, on n’a pas vérifié. La preuve avancée par l’instruction du passage volontaire, c’est le témoignage du mécanicien de l’avion, c’est tout. C’est sur ces déclarations qu’on fonde la certitude que Jean-Paul Jerpan a fait cette manœuvre interdite. C’est plus facile de tirer sur un pilote mort».

Réquisitions fermes, sanction en demi-teinte
A la réouverture de l’audience en début d’après-midi vendredi, le procureur Patrick Quincy a demandé une peine d’emprisonnement de deux ans assortie du sursis ainsi que l’interdiction d’exercer une activité professionnelle en relation avec la direction d’opérations aériennes pour une durée de cinq ans à l’encontre de Richard Degryse.
Le représentant du ministère public a également requis une peine d’amende de 100 000 euros ainsi que la publication du jugement dans deux périodiques de la presse nationale à l’encontre de la compagnie aérienne Air Caraïbes représentée au procès par Jean-Paul Dubreuil. Pour Patrick Quincy dont le réquisitoire aura duré une heure, les faits sont là, implacables. Mais avant de les qualifier, le procureur tient à faire revivre les victimes : «je me suis interrogé sur les suites du choc et de l’incendie. La mort a-t’elle été immédiate ou lente ? Les victimes ont-elles souffert, crié? Ont-elles eu le temps de comprendre ?
Après toutes ces interrogations, aujourd’hui, j’éprouve le besoin impérieux de rendre hommage à leur mémoire et à leurs proches, dignes, unis, solidaires.
Des proches qui ne sont pas venus pour crier vengeance, mais pour qu’on leur dise pourquoi les leurs ne sont jamais arrivés». Sur la cause directe de l’accident, Patrick Quincy est catégorique : «je ne vous surprendrais pas. La cause est connue. Il s’agit bien d’une faute de pilotage, déterminée à l’exclusion de toutes les autres et à défaut de boîte noire et d’enregistreur des services Afis de Saint-Barth. Toutes les hypothèses ont été envisagées. Toutes ont été écartées, à l’exclusion du passage volontaire de la page inverseur bêta en vol». Sur la responsabilité de Richard Degryse, « les preuves sont évidentes. Le débat sur ce qu’il était convenu de faire pour requalifier Jean Paul Jerpan est stérile.
Car quel qu’en soit la réponse, Jean-Paul Jerpan s’est dispensé d’effectuer ce retour en ligne et personne n’a vérifié. Alors oui, Richard Degryse a commis une violation manifestement délibérée car c’était lui le chef instructeur chargé d’accompagner son pilote pour faire ce retour en ligne. Richard Degryse a également été défaillant en associant un pilote qui n’était plus qualifié avec un copilote qui ne savait pas piloter».
Pour Patrick Quincy, cela est d’autant plus grave que «Richard Degryse était au courant de la mauvaise entente régnant entre les deux hommes», mais que de l’autre il ignorait les mauvaises notations portées au dossier de Jean Paul Jerpan par les instructeurs et contrôleurs précédents : «c’est consternant que Richard Degryse, chef des opérations n’ait jamais eu la curiosité de regarder le dossier de son pilote... Dès lors, quelle appréciation pouvait-il vraiment avoir sur lui ? Qu’il s’agissait d’un bon gardien de but ?».Sur la responsabilité morale de la compagnie, le procureur de la République est tout aussi clair : «les conditions légales sont réunies.
C’est bien pour le compte d’Air Caraïbes que cet équipage a été constitué».Au plan des sanctions, le procureur ne cache pas sa difficulté : «la peine juste, opportune dans ces cas-là, doit être reliée à la personnalité des prévenus : d’un côté Air Caraïbes, présente sur le territoire guadeloupéen depuis des décennies et devenue la troisième compagnie aérienne française par le jeu des absorptions successives. C’est par ces absorptions successives que le 2 octobre 2000, la CAT est entrée au sein d’Air Caraïbes. C’est aujourd’hui une énorme compagnie qui sert les intérêts de la Guadeloupe. Une compagnie nécessaire, importante, dynamique.
Et Richard Degryse, un homme passionné par l’aviation.
Un pionnier qui a mené Air Guadeloupe puis Air Caraïbes. Certainement un homme respectueux. Ce n’est pas un voyou, c’est un homme affligé. Sa compassion m’apparaît sincère, d’autant plus sincère que je regrette que les obligations professionnelles de Jean-Paul Dubreuil ne lui permettent pas d’entendre ces réquisitions. C’était une façon de rendre hommage, mais ses affaires sont certainement supérieures au procès qui le concerne… Quoi qu’il en soit, les faits reprochés à Richard Degryse comme à la compagnie aérienne, sont gravissimes. Vous entrerez en voie de condamnation pour la société civile d’abord, car chacun de nous est concerné. Parce qu’on est tous solidaires pour éviter que les mêmes morts ne se reproduisent. Pour les ayants droits des victimes ensuite, pour que le processus de deuil puisse enfin commencer. Et pour la compagnie et ses futurs passagers, parce qu’on ne peut plus se permettre de telles approximations». Jean Paul Jerpan a désobéi, la défense plaide la relaxeClôturant ces deux jours de procès, les deux avocats de la défense vont se présenter à la barre. D’un côté maître Serge Candelon-Berrueta représentant Richard Degryse, de l’autre Jean-Jacques Le Pen, représentant Richard Degryse et la société Air Caraïbes. Tous deux vont s’attacher à démontrer que les prévenus n’ont pas commis de faute. « Les faits ont été torturés pendant deux jours. Le vol est la suite normale des opérations de la journée. Le retard, le fait du retard du vol transatlantique d’Air France et non d’un problème technique», rappelle Serge Candelon-Berrueta. Et lui aussi de pointer du doigt l’absence de la direction de l’aviation civile au rang des prévenus : «j’admets ce que dit le procureur : oui, la compagnie a fait ce qu’est devenu Jean-Paul Jerpan. Mais jusqu’en juillet 2000, elle était dirigée par Eric Khoury. Sur le plan de l’apparence, Jean-Paul Jerpan est arrivé à la CAT avec un dossier de situation sans tache. Richard Degryse n’avait pas de raison de soulever des difficultés». C'était en revanche le devoir de la Direction de l’aviation civile sensée contrôler les validités de licences et de qualification, selon l’avocat de Baie Mahault. Sur le retour en ligne : «Quand Richard Degryse passe dans le couloir et que Jean-Paul Jerpan demande a être affecté sur les vols du 22 au 24 mars, il a le réflexe de directeur des opérations de lui dire d’effectuer son retour en ligne. Il pensait qu’il allait le faire». Sur le coup de téléphone passé le matin du crash : «il s’agit d’un épiphénomène qui n’a rien à voir avec la suite des événements. D’autant que en tant que commandant de bord, Jean Paul Jerpan avait parfaitement le droit de refuser de faire le vol s‘il estimait qu’il y avait un risque». Jean-Jacques Le Pen qui parlera le dernier au procès est pour sa part «consterné par l’excès et la virulence des réquisitions». Point par point, il répond aux arguments déployés par le ministère public et les parties civiles mettant en cause la responsabilité de Richard Degryse et de la compagnie aérienne dans l’accident. S’agissant de la remise en ligne du pilote, au cœur des débats, maître Le Pen reprendra la recommandation du BEA (Bureau Enquête Accident) qui figure au rapport final et suggère à la Direction générale de l’aviation civile de préciser ses textes quant aux conditions d’expérience récente, ceux actuellement en vigueur étant sujet à interprétation : «C’est ce texte que le BEA dit sujet à interprétation qui fonde toues les poursuites !». Sur la composition de l’équipage ? «Il était bien constitué». Nicolas Manen remplissait les conditions réglementaires. Jean-Paul Jerpan a désobéi en n’effectuant pas les vols d’adaptation. Richard Degryse n’avait aucune raison de penser qu’il n’allait pas les faire, il ne peut donc en être tenu responsable. Et d‘ajouter que le BEA dont la mission principale est d’édicter des règles de sécurité afin de prévenir d’autres accidents, «n’a rien dit sur la constitution de l’équipage. Or, c‘est son rôle». Il ne s’attardera pas sur la cause de l’accident «le rapport de l’expert judiciaire est bien fait. Autant lui que le BEA précédemment ont dégagé un facteur déterminant et c’est très rare dans un accident d’avion». Il demande «sans aucune hésitation » la relaxe de Richard Degryse et dans le cas où le tribunal statuerait dans le sens de la culpabilité, de bien vouloir ne pas prononcer une peine supérieure à un an d’emprisonnement avec sursis. Maître Le Pen fonde cet assouplissement sur les réquisitions du ministère public qui dans le crash du Mont Saint-Odile n’a pas requis de peine et s’en est remis à l’appréciation du tribunal pour juger de la responsabilité du directeur d’exploitation d’Air Inter qui avait constitué un équipage de deux jeunes pilotes (60 heures et 161 heures de vol) pour piloter l’A320 qui s’est écrasé en janvier 1992 sur le mont Sainte Odile faisant 87 morts.Il ne retient pas la responsabilité de la compagnie. «Les deux fautes, éventuelles, -l’absence de reprise en ligne du pilote et la mauvaise constitution de l’équipage» relèvent toutes deux de la responsabilité de Richard Degryse, directeur des opérations. Et d’ajouter pour conclure que le juge d’instruction lui-même n’était pas favorable à la mise en accusation de la compagnie aérienne, intervenue il y a tout juste un an. Le jugement du tribunal a été placé en délibéré et sera rendu le 15 septembre prochain.
Zoom sur l’équipageAgé de 38 ans, Jean-Paul Jerpan totalisait 9864 heures de vol dont 6400 en qualité de commandant de bord. Sur Twin Otter, il avait effectué environ 5000 heures, dont 3000 en qualité de commandant. Un pilote expérimenté, mais présenté comme un leit-motiv tout au long du procès comme exubérant, doté d’une forte personnalité qui pouvait impressionner. Il disposait de la qualification de type et de site spécifique pour l’atterrissage à Saint-Barth. Cependant, son carnet de vol révélait qu’il avait eu une interruption de vol sur Twin-Otter de 124 jours et qu’il n’avait pas effectué les vols de requalification obligatoires après une interruption supérieure à 90 jours. Selon l’expert, le jour du crash, il ne remplissait plus les conditions nécessaires à sa fonction de commandant de bord. A l’inverse, Nicolas Manen embauché en contrat à durée déterminée du 20 décembre 2000 au 20 janvier 2001 puis renouvelé jusqu’au 31 mars 2001, était plus effacé. Un ancien militaire qui présentait l’avantage d’être un excellent mécanicien naviguant, mais «peu amène à imposer un point de vue à son commandant de bord» selon le directeur d’enquête. S’il disposait de 4000 heures de vol en tant que mécanicien naviguant, en tant que pilote il ne comptait que 670 heures de vol. Son adaptation en ligne sur Twin Otter avait été faite la semaine précédant le crash par Richard Degryse lui-même : «Réglementairement, il était suffisamment qualifié», répondait le directeur d’enquête au procureur qui lui posait la question. Au moment du crash, Nicolas Manen avait seulement 16 heures de vol sur Twin Otter. Comme pour ajouter au drame, le vol TX 1501 était le dernier qu’il devait accomplir au sein d’Air Caraïbes. Il partait le lendemain pour prendre son poste de mécanicien naviguant sur 747 chez Corsair. Un rêve détruit à néant. Le matin du crash, Jean-Paul Jerpan avait appelé Richard Degryse pour se plaindre de son copilote, qualifié de novice. Ce à quoi le directeur des opérations l’avait incité à prendre sur lui. Après tout, il ne leur restait plus qu’une journée à voler ensemble…

Auteur : Pierrette Guiraute , rédacteur en chef du "Journal de St. Barth"