jeudi, novembre 16, 2006

DROIT DES VICTIMES

CRASH AERIEN,
REMARQUABLES AVANCEES DU JUGE DU FOND ET REGRETTABLE CASSATION

L’actualité judiciaire en matière de transport aérien est fournie. Trois décisions dans des registres différents méritent de retenir l’attention. La 17e chambre de la Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 3 juillet 2006, a apporté une très utile contribution à l’amélioration d’une juste indemnisation des victimes d’accidents aériens.Le tribunal correctionnel de Basse- Terre, par un jugement du 15 septembre 2006, a consacré la pertinence de la participation à la construction de la vérité judiciaire des associations de défense des victimes de l’article 2-15 du Code de Procédure Pénale. La cour de Cassation, quant à elle, s’est livrée à une interprétation particulièrement restrictive de l’article 28 de la Convention de Varsovie.

I ) Vers une plus juste indemnisation des victimes d’accidents aériens

La 17e chambre de la Cour d’Appel de Paris, par son arrêt du 3 juillet 2006, porte un éclairage particulièrement intéressant en matière de réparation des préjudices subis par les ayants-droit.

Le contexte dans lequel est intervenue cette décision est celui de l’accident survenu le 30 juillet 1998 entre 2 avions, un avion de tourisme Cesna et l’avion Beechcraft de la compagnie "Proteus Airlines".
La Cour a eu l’occasion tout d’abord de se prononcer sur le préjudice corporel subi par un ayant-droit, en l’occurrence M. M. qui avait perdu à la fois dans l’accident son épouse et ses deux enfants.
Sur la base d’un rapport d’expertise réalisé par un médecin psychiatre, il a été reconnu l’existence d’un déficit fonctionnel psychique ouvrant droit à une réparation au titre de l’ITT, de l’IPP (à hauteur de 10 %) et au titre des souffrances endurées (à hauteur de 6 sur 7 %).
La Cour, dont on connaît la spécialisation en matière de réparation du dommage corporel, prend soin de distinguer le déficit fonctionnel qui doit être évalué séparément du préjudice économique et professionnel, le taux de 10 % est évalué économiquement à 20 %.
La Cour prend également le soin de distinguer les souffrances endurées à hauteur de 6/7 correspondant à une réaction dépressive majeure. Ces souffrances doivent être indemnisées séparément du préjudice moral résultant du décès de l’épouse et des deux enfants.
L’évaluation est faite à hauteur de 25 000 €.
On relèvera encore le montant alloué au titre du préjudice moral, pour la perte de l’épouse et des deux enfants, à hauteur de 120 000 €.
Enfin, la décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle écarte, pour défaut d’élément probatoire et non par principe, l’indemnisation du préjudice direct des personnes décédées au titre de l’action successorale pour ce qui aurait pu être leur vécu au moment de l’accident, au seul motif « qu’il n’est pas établi que les victimes aient subi des souffrances physiques et morales avant leur décès ».
Cette décision mérite d’être largement approuvée, car elle tend, par une appréciation in concreto, en dehors de tout barème et référentiel, vers le juste indemnitaire qui ne peut être que du « sur mesure ».

II ) La consécration de la pertinence de la participation à la recherche de la vérité judiciaire des associations agréées de l’article 2-15 du Code de Procédure Pénale

Le tribunal correctionnel de Basse- Terre a eu à juger de l’accident aérien survenu le 24 mars 2001 à Saint Barthélémy.
Dans le cadre des incriminations créées par la loi Fauchon, étaient poursuivis d’une part, le cadre de la société Air Caraïbes, et d’autre part la société Air Caraïbes en tant que personne morale.
L’accident avait la causé la mort de 17 passagers, de 2 pilotes et de l’un des occupants de la maison sur laquelle l’avion s’est écrasé.
Le jugement du tribunal correctionnel de Basse Terre est tout d’abord une nouvelle contribution intéressante à l’application de la loi Fauchon aux accidents collectifs. Dans le cadre de ce commentaire, ce n’est pas ce point qui retiendra notre attention. Tout juste convient-il d’indiquer que la responsabilité personnelle du cadre technique a été retenue comme la responsabilité pénale de la personne morale, le premier ayant été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’à une interdiction d’exercer les fonctions de directeur des opérations aériennes pendant une durée de 2 ans.
La compagnie Air Caraïbes a été condamnée à un montant de 250 000 € d’amende, montant supérieur aux réquisitions du Procureur de la République.

C’est sur l’action civile que la décision présente un grand intérêt.
L’association de défense des victimes des familles du crash de Saint Barthélémy, créée après l’accident, épaulée par la FENVAC, s’était constituée partie civile. L’association de défense des victimes se voit allouer un montant de 150 000 € à titre de dommages et intérêts.

La motivation est particulièrement intéressante. Le tribunal relève que l’ ADFV a été créée le 19 avril 2001 et agréée par arrêté du 14 juin 2005. Le tribunal rappelle l’objet de l’association qui est de maintenir le contact et l’entraide entre toutes les familles des victimes, de rechercher toute information susceptible de connaître les causes de l‘accident et d’engager toute action auprès des autorités concernées en vue de rechercher les responsabilités éventuelles contributives à l’accident. Le tribunal relève encore que l’ADFV a participé activement à l’instruction, ainsi qu’à l’organisation de la défense collective dans l’intérêt de ses membres.

Pour apprécier les dommages et intérêts, le tribunal rappelle qu’ont été produits les justificatifs des dépenses de fonctionnement, de l’apport en industrie des membres et le devis pour l’édification d’une stèle ainsi que les frais de voyage de commémoration sur les lieux de l’accident prévu en mars 2007.
Souverainement, les dommages et intérêts ont été évalués à hauteur de 150 000 € avec exécution provisoire. Ainsi le tribunal correctionnel, sur l’action civile de l’association de défense des victimes, consacre la notion de citoyen engagé expert qui participe pleinement à la mise en œuvre d’un procès loyal et équitable suite à un accident collectif.
C’est là une bien juste appréciation, si l’on veut bien se rappeler les moyens de défense, d’aide à la preuve et à l’expertise dont disposent, dans ce type d’accident, les grands acteurs du risque et leurs assureurs.
La FENVAC, quant à elle, s’est vu allouer un montant de 5 000 €, à titre de dommages et intérêts.

III ) L’interprétation stricte par la Cour de Cassation des règles de compétence directe de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 11 juillet 2006 était attendu. Les faits, s’agissant d’une question de compétence et de droit processuel, méritent d’être rappelés dans les termes mêmes de l’avis formulé par l’avocat général : « le 23 août 2000, à Bahrein, un avion de type airbus A320, enregistré au Sultanat d’Oman, construit par le GIE Airbus Industrie et exploité par la compagnie Golf Air, qui effectuait un vol au départ du Caire en Egypte à destination de Bahrein, s’est abîmé en mer dans les eaux territoriales bahreinies peu avant l’atterrissage ; les pilotes, les membres de l’équipage et 135 passagers ont trouvé la mort«.
Leurs ayants-droit ont fait assigner le groupe d’intérêts économiques Airbus Industrie, la société Gulf Air Cie à son siège, l’Etat de Bahrein et au siège de son établissement parisien, en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis ; ils ont sollicité du juge la mise en état, la condamnation de la compagnie Gulf Air et du GIE Airbus Industrie à leur verser certaines sommes à titre de provision.
Par ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de Toulouse rendue le 23 juillet 2002, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse a été déclaré compétent territorialement, pour statuer sur l’action en responsabilité engagée par les 325 demandeurs restant à l’encontre de la société de droit étranger Gulf Air. Par arrêt du 3 juin 2003, la Cour d’Appel de Toulouse a confirmé cette décision.Un pourvoi a été formé contre cet arrêt le 5 septembre 2003 par la société Gulf Air Cie qui a produit un moyen unique de cassation en deux branches. La Cour de Cassation, par une motivation relativement lapidaire, au seul visa de l’article 28 alinéa 1 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport international, a estimé que cet article 28 énonçait une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et que la Cour d’Appel de Toulouse avait violé le dit texte. Cette décision, comme n’ont manqué de le relever les premiers commentateurs, est une bonne nouvelle pour les compagnies aériennes (P. Delebecque, RTD Com, 2006, Chroniques, p. 703).
Ce revirement de jurisprudence est par contre une mauvaise nouvelle pour les victimes, car la position adoptée par la Cour de Cassation est de nature à compliquer l’indemnisation, dés lors qu’il existe des éléments d’extranéité.
La logique, le bon sens voudraient en effet que la juridiction compétente pour statuer sur une demande dirigée contre un défendeur, en l’occurrence le constructeur, puisse également l’être, pour se prononcer, sur une demande connexe dirigée contre le transporteur aérien. Faire primer la compétence directe de la Convention de Varsovie peut s’analyser comme une option de politique processuelle dissuasive. Certains y ont vu la volonté de la Cour de Cassation de lutter contre le forum-shopping (X. Delpech, Recueil Dalloz 2006, IR, p. 2055, note 1).

Cette position de la Cour de Cassation nous semble méconnaître le problème de fond que dissimule le débat sur la compétence, à savoir le caractère préventif des décisions judiciaires en matière de responsabilité civile et de réparation des dommages après les accidents collectifs et des catastrophes. Tout laisse à penser que l’arrêt de la Cour de Cassation ne clôt pas le débat. La Cour de renvoi aura son mot à dire !

Auteur : Claude Lienhard, professeur des universités, directeur du JAC

1 commentaire:

Anonyme a dit…

un pas en avant, deux pas en arrière........