L'ouvrage de François Nénin et d'Henri Marnet-Cornus (*) intitulé « Transport Aérien le dossier noir », est un livre qui décoiffe.
Dans ce réquisitoire féroce tout le monde en prend pour son grade : voyagistes, compagnies, autorités de l'aviation civile et les affairistes qui ont fait de l'aérien leur terrain de jeux. Nous nous sommes fait « l'avocat du diable » pour l'interview des auteurs.
TourMaG.com – Dans votre livre vous évoquez les voyagistes comme « le premier maillon de l'insécurité ». N'est-ce pas mettre tout le monde dans le même panier dans la mesure où seuls 3 ou 4 voyagistes sont concernés par ces accidents, alors qu'il en existe des dizaines d'autres ?
François Nénin : « Nous ne voulons pas jeter l'opprobre sur l'ensemble de la profession. Dans notre livre « Transport aérien : le dossier noir », nous citons un voyagiste qui a fait preuve d'honnêteté et de courage en dénonçant publiquement une compagnie aérienne qu'il jugeait peu sûre. « Best Tours » renonçait ainsi à utiliser la compagnie « Phuket Airlines », depuis lors interdite en France. Ce voyagiste s'était intéressé à la façon dont travaillait cette compagnie et à ses avions vétustes. Nous condamnons l'attitude des voyagistes qui affrètent n'importe quelle compagnie sans s'assurer qu'elle soit sûre et qui nous répondent « l'aviation n'est pas notre cœur de métier ». Certains d'entre eux, par exemple, continuent d'affréter des compagnies avec lesquelles ils ont connu des incidents.
Henri Marnet-Cornus : « C'est le fonctionnement de votre secteur d'activité dans son ensemble qui est pointé du doigt dans notre livre. Pour attirer la clientèle et rester présent sur le marché il faut proposer des « séjours de rêve tout compris » à des prix très attractifs, donc pousser les compagnies aériennes à entrer en concurrence les unes avec les autres. C'est la moins disante qui gagne ! C'est en cela que tous les TO sont concernés.»
T.M.com – Toujours dans le même ordre d'idées, il est question aussi de la pression que font peser les tour opérateurs sur les compagnies pour obtenir des tarifs moins chers, ce qui aurait pour effet de recourir à des « compagnies-poubelles ». Pourtant, celles-ci ont été légalement autorisées par leurs autorités aériennes dans leur pays. Est-ce au TO de se substituer à elles et de décider quelle est la bonne compagnie ?
François Nénin : «le principe de la souveraineté des Ttats pour contrôler les compagnies établies sur leur sol a démontré de façon tragique ses limites. Les normes de l'organisation internationale de l'aviation civile sont non seulement, pas assez exigeantes, mais en plus, pas toujours appliquées. C'est la raison pour laquelle il faut trouver d'urgence des outils pour garantir la sécurité des passagers. Celle-ci passe, entre autres, par la transmission, au niveau européen, des informations sur les compagnies à risque. En attendant que cette directive européenne - dont le projet remonte au lendemain du crash de Puerto Plata en 1996 - entre enfin en application, les voyagistes ont un rôle citoyen à jouer en refusant d'affréter des compagnies ayant connu des incidents graves ou dont ils savent qu'elles n'ont pas les moyens d'entretenir correctement leurs appareils. »
Henri Marnet-Cornus : « L'existence des « compagnies poubelles » est une réalité. Les TO ne peuvent l'ignorer. Les accidents de Charm el-Cheikh et de Maracaïbo en sont les sinistres conséquences. Les TO auraient dû, depuis longtemps, avoir fait le constat que les autorités de tutelle ne jouent pas leur rôle. »
T.M.com – On a l'impression à lire votre livre qu'il y aurait une sorte de complot des TO qui ne songeraient qu'à s'enrichir en oppressant les destinations. N'est pas une vision un peu manichéenne de la profession ?
François Nénin : « A aucun moment, notre livre parle de « complot ». Je suis, pour ma part, dans mon rôle de journaliste en dénonçant les failles d'un système, qui rappelons le, a fait 600 morts l'été dernier. Nous aurions aimés de na pas avoir à écrire un tel livre…»
Henri Marnet-Cornus : « Le transport aérien est dans une logique mercantile ultra libérale orchestré par ceux qui le gèrent et ceux qui l'utilisent. Vous ne pouvez nier que l'objectif est de remplir des avions avec des passagers qui iront ensuite remplir des hôtels au quatre coins de la planète. »
T.M.com – Vous brocardez le « Label Bleu », choquant à bien des égards. Pourquoi et que pensez-vous du « Black label » de l'Union Européenne ?
François Nénin : « Pour ma part, je pense qu'un label bleu reposant sur un audit volontaire, payant, orchestré par un comité composé pour partie de personnes qui ont démontré par le passé que la sécurité des vols n'était pas leur préoccupation principale est une erreur. Une première démarche intéressante consiste à mettre à l'index les compagnies peu sures. Encore faudrait-il qu'il y ait une réelle volonté de le faire… »
Henri Marnet-Cornus : « Qu'il soit bleu, black, jaune ou vert, ces labels sont une grosse farce. Ils officialisent l'existence des « compagnies poubelles ». Il ne faut pas compter sur le pouvoir politique. Il y aura toujours des « compagnies poubelles » comme il y a toujours des bateaux poubelles qui polluent nos côtes car ce sont des nécessités économiques. Si la qualité requise était vraiment exigée, les tarifs pratiqués par les compagnies aériennes augmenteraient sensiblement, il y aurait donc beaucoup moins de passagers dans les avions. Le pouvoir économique n'est pas prêt de céder. Le label « compagnie poubelle » existe, lui. Nous l'avons créé. Vous le trouverez dans notre livre. Nous vous recommandons de l'utiliser pour déterminer la fiabilité des compagnies aériennes que vous affrétez. »
T.M.com – À propos des contrôles, vous dénoncez le « laxisme de la DGAC vis-à-vis de certaines compagnies aériennes ». Que voulez-vous dire exactement ? François Nénin : «La DGAC manque cruellement de moyens pour contrôler les avions : 5 inspecteurs de la DGAC contrôlent à plein temps Roissy et Orly. Mais les moyens sont la traduction de la volonté politique… »
Henri Marnet-Cornus : « Il suffit, pour s'en convaincre, de constater que la DGAC à laissé la compagnie Air Lib exploiter des avions destinés au transport des passagers alors que sa situation financière était extrêmement dégradée, ce qui est contraire aux exigences de la réglementation, et que l'état de l'entretien des ses avions était très critique, ce qui l'est, bien sûr, tout autant. Il y a d'autres exemples. Beaucoup de compagnies françaises ont disparu après avoir déposé le bilan par manque de ressources financières. La DGAC doit intervenir dès que le dirigeant responsable de la compagnie ne peut plus garantir que l'exploitation des avions et leur entretien peuvent être financés et exécutés au niveau de qualité exigé, c'est à dire bien en amont de la décision d'un tribunal de commerce. »
T.M.com – La psychose actuelle des passagers les amène à préférer les compagnies françaises comme Air France. Or, un chapitre de votre livre fait état d'une « dérive préoccupante » et « d'incidents répétés…»
François Nénin : «Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec le terme de psychose, qui laisse penser que les consommateurs sont en état de panique irraisonnée. L'insécurité aérienne n'est pas une vue de l'esprit ! Il ne faut pas céder à la panique mais il faut traiter ce problème. Dans le chapitre consacré à Air France, qui a été relu et contrôlé par les avocats des éditions Privé, nous nous appuyons sur des documents internes à la compagnie, sur un préavis de grève déposé par un syndicat pour protester contre ce qu'il estime être un manque de sécurité, sur des témoignages de commandants de bord et sur la lettre du chef de secteur A 340 évoquant des incidents répétés. Mais j'insiste, nous n'affirmons pas pour autant qu'Air France est une compagnie à risque élevé. Nous faisons simplement état d'indices préoccupants. Air France n'a qu'à traiter sérieusement ces problèmes… »
Henri Marnet-Cornus : « Lorsque Monsieur Spinetta, patron d'Air France, appelle à la diminution des coûts, il démontre qu'il est un chef d'entreprise avant d'être le dirigeant responsable d'une compagnie aérienne. Le discours qui convient dans ce cas est : « nous allons adapter les coûts aux objectifs de sécurité et tant pis pour les actionnaires ». Il est préoccupant de constater qu'Air France est donc dans une logique mercantile. Nous faisons le constat qu'il y a eu 8 avis de danger grave et imminent émis par le CHSCT-PN d'Air France en 18 mois et qu'un syndicat de pilotes a demandé un audit sur la sécurité des vols. Selon nos informations cet audit est en cours. »
T.M.com – Le risque zéro n'existant pas et le transport aérien étant tout de même le moins « accidentogène », que faudrait-il faire selon vous pour améliorer la sécurité des passagers ?
François Nénin : Certes, c'est le moins accidentogène mais il y a eu trois fois plus de morts en avion entre 2004 et 2005 ! Un premier pas consisterait à appliquer sérieusement les textes réglementaires existants avant de créer des systèmes reposant sur la qualité et non la sécurité comme le « label bleu ». J'ai interviewé la députée belge Nelly Maes, rapporteur de la directive européenne sur la transmission et la publication des informations concernant les compagnies à risques, juste après de drame de la Flash Airlines. Elle m'a dit : « si cette directive avait été en application, ce drame n'aurait jamais eu lieu ! »
Henri Marnet-Cornus : « Le risque zéro n'existe pas mais il doit tendre vers zéro par l'intermédiaire de tous ceux qui gèrent et utilisent le transport aérien. Dans ce livre nous avons exploré toute la chaîne des responsabilités qui mènent à l'accident. Le transport aérien doit bannir le business, les passagers comprendre que l'avion est un moyen de transport coûteux s'il on veut qu'il soit au niveau de qualité requis et les « marchands de rêve » arrêter de faire croire au public que l'on peut voler à l'autre bout de la planète pour 3 francs 6 sous. »
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